Le rapport Brossier sur les transports dans les Alpes illustre
les contradictions actuelles de la politique nationale des
transports. Des propositions novatrices et courageuses sur
les transports internationaux y coexistent avec le conformisme
routier traditionnelle et l'ignorance quasi totale des possibilités
du rail dès que les transports intérieurs sont
concernés : contrairement au tunnel routier du Mercantour,
le projet d'autoroute nord-sud A51 n'est pas fondamentalement
remis en cause.
Le rapport de la commission Brossier-Blanchet-Gérard
a été rendu public fin mai 1998. Cette "
analyse multimodale de la politique des transports dans les
Alpes " se caractérise par une double volonté
de réalisme écologique et financier. Que de
chemin parcouru depuis les rapports Legrand (1991) et Besson
(1993) sur le même thème !
. Le rapport Brossier se réfère aux principes
du développement soutenable déjà inscrits
dans la Convention alpine. Il insiste avec force sur la richesse,
la spécificité et la fragilité du milieu
montagnard. Il avance le principe d'une taxe générale
de transit alpin permettant de financer de nouvelles infrastructures
ferroviaires et d'une " taxe d'orientation modale "
destinée à favoriser un transfert du trafic
routier sur le rail.
. Par ailleurs le rapport prend enfin en compte la raréfaction
de l'argent public disponible pour les grands projets : il
préconise l'amélioration prioritaire des infrastructures
existantes et l'élimination des surinvestissements.
Déplacements interfrontaliers
L'originalité et l'intelligence de la commission Brossier
dans sa réflexion sur le projet Lyon-Turin ont consisté
à ne pas isoler les échanges franco-italiens
du contexte général des échanges européens
à travers l'arc alpin.
S basant sur une analyse détaillée des projets
techniques et fiscaux de la Suisse et de l'Autriche (tunnels
ferroviaires de base, taxes routières), la commission
affirme qu'un tunnel ferroviaire de 54 kilomètres entre
St Jean de Maurienne et Suse n'est ni urgent ni, peut-être
même nécessaire. En effet l'ouverture prévue
des tunnels suisses (Loetschberg en 2006 et Gothard en 2010)
soulagera (de 20 à 30 %) le réseau routier français
du trafic artificiellement rejeté sur la France par
l'interdiction du transit à travers la Suisse des camions
de plus de 28 tonnes. Du coup, les itinéraires routiers
français seront désaturés et le projet
de tunnel ferroviaire, destiné à absorber le
transit routier, perdrait de sa rentabilité. L'axe
ferroviaire France-Italie pourrait même être concurrencé
par les deux axes ferroviaires suisses plus attractifs.
Or le tunnel, " une opération gigantesque et
très risquée ", coûterait 30 milliards
de francs, difficiles à trouver (voir le TGV-Est...)
: l'Etat doit rembourser la dette ferroviaire et ne peut plus
compter sur les bénéfices des tunnels routiers
du Mont-Blanc et du Fréjus car les sociétés
exploitantes devront éponger les lourds déficits
des autoroutes A41 Annecy-Genève (" autoroute
Bosson ") et A43 de la Maurienne (" autoroute Barnier
" qui coûtera 8,5 milliards de francs au lieu des
6,5 prévus à l'origine).
La commission souligne aussi, comme la FNAUT l'a déjà
fait, que " réaliser le tunnel de base en priorité
serait mettre la charrue avant les bufs car sa capacité
serait très supérieure à celle des sections
ferroviaires amont et aval ".
Les conclusions de la commission sont pleines de bon sens
(mais Michel Barnier les critique avec virulence) :
. poursuivre les études techniques relatives au tunnel
de base, étudier le doublement (bien moins coûteux)
de l'actuel tunnel de Modane à Bardonecchia et ne prendre
aucun décision définitive avant 2006 ;
. renforcer rapidement (pour un coût d'environ 2 milliards
de francs) l'axe ferroviaire fret existant Ambérieu-Chambéry-Modane-Turin
(troisième voie entre Aix les bains et Montmélian,
modernisation de l'exploitation à Modane, ...) et détourner
le TGV Paris-Genève par la ligne Bourg-Bellegarde ;
. lancer une ligne à grande vitesse de Lyon Satolas
en direction de Chambéry avec raccordement vers Grenoble
afin de mieux desservir le Dauphiné, les Savoie et
l'Italie depuis Paris et Lyon et de libérer des capacités
pour le fret sur les lignes existantes.
A court terme, il s'agit en effet de conforter l'axe ferroviaire
fret France-Italie en prévision de l'échéance
2006, de préparer et de valoriser la construction éventuelle
d'un nouveau tunnel interfrontalier, afin de limiter la croissance
du trafic routier d'ici à 2006.
Mais ces mesures suffiront-elles à endiguer les nuisances
du trafic routier dans la vallée de Chamonix, en Maurienne,
dans la combe de Savoie ? C'est le point faible du scénario
proposé (la réouverture de la ligne Evian-St
Gingolph n'est même pas évoquée). D'après
la Commission européenne, le trafic routier européen
de fret doit augmenter de 70% en 15 ans, et la route doit
absorber 84% de cette croissance.
La commission a également réexaminé
le projet de tunnel routier franco-italien du Mercantour,
réclamé à cor et à cri par les
élus de la Cote d'Azur malgré son coût
(8 milliards de francs). Ses conclusions sont sévères.
Mal situé géographiquement, le tunnel serait
peu utile pour absorber massivement les camions en transit
: " contre les principes de la Convention alpine, il
transfèrerait des camions en montagne pour permettre
aux voitures de mieux circuler au niveau de la mer ".
Le rapport recommande donc un simple " retubage "
du tunnel routier existant de Tende sans augmentation de capacité
" afin de ne pas attirer les camions dans la vallée
de la Roya ", la modernisation de la voie ferrée
Nice-Vintimille-Tende-Cuneo et une troisième vois sur
le ligne du littoral.
L'axe autoroutier nord-sud
La commission Brossier s'est malheureusement montrée
moins imaginative dans sa réflexion franco-française.
Ella a entériné la décision ministérielle
de construire l'A48 Ambérieu-Bourgoin (50km, 4 milliards
de francs) qui offrira un itinéraire autoroutier continu
de Dijon à Dole à Grenoble et l'A41 Annecy-Genève.
Elle a simplement critiqué le tracé absurde
et ruineux de l'A51 Grenoble-Sisteron par Gap, recommandant
le tracé plus direct par le col de Lus la Croix haute
et envisageant une formule technique allégée
: autoroute réservée aux voitures ou transformation
de la RN 75 en 2*2 voies.
Un aménagement plus modeste de la RN 75 (contournements
des bourgs, création de dépassement) n'a pas
été retenu alors qu'il permettait de fluidifier
la circulation sans attirer trop de circulation rhodanien.
Le problème fondamental de la traversée de la
cuvette grenobloise, déjà très embouteillée
et polluée, a été étudié
de manière superficielle.
La commission en est restée à l'idée
sommaire que seul un nouvel axe autoroutier nord-sud, s'ajoutant
à l'A75 Clermont-Béziers par Millau, est susceptible
de désaturer le couloir routier rhodanien et, en prime;
de " désenclaver " les Hautes-Alpes.
Mais, alors qu'elle a préconisé la carte ferroviaire
pour les transports inter frontaliers, elle a superbement
ignoré les possibilités du rail dans son analyse
du trafic nord-sud. La prochaine mise en service du TGV Méditerranée
va dégager des capacités importantes sur les
lignes de la vallée du Rhône, le contournement
ferroviaire est de Lyon est à l'étude et devrait
se concrétiser, la SNCF a mis en place un corridor
de fret entre Anvers et Marseille, la société
Roos-Spedition veut obtenir une autoroute ferroviaire et on
parle même en région PACA d'un futur " Rhin-Rhône
ferroviaire " : la commission ne semble pas en avoir
été informée !
Un tunnel ferroviaire sous les Pyrénées
?
Alain Rousset, président de la région Aquitaine,
est favorable à un tunnel de 40km sous le Vignemale
(mais est-il réaliste d'en espérer un financement
rapide ?). Il ne voit dans la réouverture de la ligne
Pau-Canfranc qu' " un intérêt touristico-patrimonial
".
Le CRELOC et le Collectif Alternatives Somport font au contraire
de cette réouverture un investissement concurrent de
l'aménagement routier de la vallée d'Aspe et
susceptible de s'intégrer dans le schéma européen
du transport combiné. Loin de concurrencer le projet
du Vignemale, elle permettrait de prolonger la voie normale
jusqu'à Saragosse et d'amorcer un report du trafic
sur le rail.
En deuxième étape, selon une étude du
Dr Charles Vaillant (SNUT), la partie haute de la ligne pourrait
être shuntée par un tunnel de 21 km entre Urdos
et Villanua, afin de ramener les rampes maximales de 44 à
20 mm/m et de faciliter le passage des trains de fret.
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