Trois ans après, le ministre Borloo
continue de se lancer des fleurs. Artificielles !
TRIOMPHE à la soviétique ! Des tas de chiffres
impressionnants. Un bilan largement positif. Quelques bémols
pour montrer que tout n'est pas gagné, loin de là,
mais qu'on va dans le bon sens. Trois ans pile après
le Grenelle de l'Environnement, qui, clamait alors Sarkozy,
lancerait la « révolution » écologique
et stupéfierait la planète, le ministre Borloo
vient de tenir conférence de presse à tapage,
brandissant d'un air ravi les 222 pages d'un « rapport
indépendant d'évaluation ». Lequel rapport
est enthousiaste sur les résultats du Grenelle :
« 96 % des démarches ont été
engagées » et « 257 engagements sont
réalisés ou en cours de mise en oeuvre »
! Il n'y a guère que « 11 engagements à
redéfinir » !
Mais qui donc a pondu ce « rapport indépendant
» ? Un « comité d'évaluation »
composé d'un sénateur UMP, Jean-François
Le Grand, d'un pédiatre, Alain Grimfeld, d'une syndicaliste
reconvertie, Nicole Notat, et d'un climatologue Jean Jouzel,
lesquels sont tellement « indépendants »
que tous ont présidé un « groupe de
travail » lors du Grenelle. Pour les aider à
emballer le rapport, on les a flanqués du cabinet
d'audit Ernst & Young, qui n'a aucune compétence
particulière dans le domaine de l'environnement (gage
d'indépendance !) mais s'y connaît en audit
de banques et d'assurances (gage d'indépendance !)
Au moment où Borloo, très content de son coup,
parle de lancer un « Grenelle de la fiscalité
» décortiquons la méthode Grenelle,
si riche d'enseignements.
1. Noyer le poisson. Ne traiter qu'un sujet à la
fois permet à la contestation de s'organiser, voir
la réforme des retraites ou la loi très chahutée
sur les OGM. Au contraire, discuter de tout à la
fois pour arriver à une gigantesque loi fourre-tout,
un « monstre législatif », présente
l'énorme avantage d'égarer le simple citoyen,
qui, n'y comprenant plus rien, laisse les « experts
» faire leur cuisine. Lors du Grenelle, ni sympathisants
écolos ni grand public ne se sont mobilisés
: ouf !
2. Piéger les naïfs. Piètres négociateurs,
les écolos se sont montrés incapables de définir
une ligne en deçà de laquelle ils auraient
dû se retirer : « Lorsque tous les sujets sont
sur la table des négociations, dit l'écolo
Stéphen Kerckhove dans un excellent petit livre-bilan
(1), personne n'est en mesure de définir à
quel moment la partie est perdue, laissant supposer que
le fait de négocier est en soi une victoire. »
Du coup, ils ont avalé jusqu'au bout les couleuvres
avec le sourire.
3. Donner l'impression d'un vrai débat. Mettre les
parties concernées autour de la table ronde, écolos,
syndicats, patrons, gouvernement, et faire croire à
l'opinion qu'au bout de deux mois de concessions mutuelles,
bon sens aidant, ils vont aboutir à un honorable
compromis, « c'est passer sous silence que ce compromis
va servir de base de discussion à un nouveau compromis
! » note Kerckhove. En effet, après les parleurs
interviennent les vrais décideurs : les parlementaires.
Lesquels ont passé à la moulinette les 268
« engagements » pris en octobre 2007. Et ils
en ont mis, du temps, pour les vider de leur contenu : la
loi Grenelle 2 n'a été votée qu'en
juillet dernier...
4. Transformer un rattrapage de retard en avancée
grandiose. Objectif fixé par l'engagement n°
121 : 6 % de la surface agricole sera bio en 2010. Objectif
repris par la loi en allongeant le délai : euh, çà
sera en 2012. On n'en est aujourd'hui qu'à 2,46 %...
Mais pas grave, puisque les taux de progression sont (évidemment)
fulgurants ! Et rares sont ceux qui se rappellent qu'en
2007 dix pays européens dépassaient déjà
les 6 % de surface cultivée bio...
5. Faire passer le respect des engagements européens
pour autant de triomphes du Grenelle. La disparition des
ampoules à incandescence, l'interdiction des phosphates
dans les lessives : ces mesures du Grenelle étaient
imposées à la France par des directives européennes.
Elles ont carrément été labellisées
« Grenelle ».
6. Semer les mots qui tuent. Il suffit d'écrire que
tel aménagement ne devra pas voir le jour s'il entraîne
des troubles « excessifs », ou que telle mesure
« peut » être imposée, ou qu'il
faut « limiter » telle nuisance pour vider une
mesure de son sens. Le Grenelle est farci de ces délicieux
petits mots.
7. Annoncer qu'on arrête tout, sauf... Fini, les autoroutes
! Lors du Grenelle, cette nouvelle a fait la une des journaux.
« Jean-Louis Borloo a été clair »,
ajoutaient-ils. Certes. L'accord était rédigé
ainsi : « La capacité routière globale
du pays ne doit plus augmenter, sauf pour éliminer
des points de congestion et des problèmes de sécurité,
ou d'intérêt local. » Du coup, depuis
le Grenelle, 19 nouveaux projets autoroutiers ont été
lancés, soit 879 kilomètres. Engagement tenu
!
8. Présenter les échecs comme des victoires.
L'engagement n° 159 prévoit la tenue d'un grand
débat sur les nanotechnologies. Il a eu lieu : c'était
une parfaite mascarade. Cela ne l'empêche pas d'avoir
été comptabilisé comme engagement tenu...
9. Supprimer les mots qui fâchent. La principale mesure
de protection de la biodiversité, instituant une
trame verte, a été vidée de son sens
: dans l'engagement n° 73, elle était «
opposable » aux grandes infrastructures. Dans l'article
de loi correspondant, elle existe encore mais n'est plus
opposable. Toujours verte, mais enterrée !
Et tout est à l'avenant... Bilan : le Grenelle n'a
en rien gêné gros appétits, frénésie
bétonneuse et grandes nuisances. Routes, aéroport,
nucléaire, incinérateurs, etc... tout continue
exactement comme avant, mais attention... dans « l'esprit
du Grenelle » !
Professeur Canardeau
(1) « Grenelle de l'environnement : l'histoire
d'un échec », éditions Yves
Michel, 130 p., 10 euros
