Rien n'est réglé entre les riverains des antennes-relais
de téléphonie mobile et les opérateurs.
A Paris, la crise, que l'on croyait en voie de règlement,
menace de reprendre de plus belle, alors que les associations
opposées à l'implantation anarchique des pylônes
sont reçues aujourd'hui par le cabinet du ministre de
la Santé, Jean-François Mattei. Elles réclament
un débat parlementaire sur une affaire plus grave, à
leurs yeux, que l'amiante ou le sang contaminé.
Depuis quelques mois, dans la capitale, les habitants inquiets
ou victimes de troubles qu'ils imputent à la proximité
d'antennes avaient mis leurs espoirs dans la signature d'une
charte entre la mairie et les trois opérateurs. La
Ville souhaitait voir figurer dans le document un seuil d'exposition
maximal du public compris entre 1,2 et 2,5 volts par mètre
(v/m), très inférieur à la fourchette
de 41 à 58 v/m fixée par le décret gouvernemental
du 5 mai 2002. Mais, après des semaines de discussion,
les négociations n'ont toujours pas abouti.
«Il est impossible pour la Mairie de Paris et les opérateurs
de téléphonie mobile d'inscrire dans une charte
un chiffre précis fixant un seuil d'exposition aux
ondes émises par les antennes-relais, explique au Figaro
le porte-parole de l'Association française des opérateurs
de téléphonie mobile (Afom). Nous n'avons pas
de pouvoir réglementaire. Si nous indiquions un chiffre,
nous serions dans l'illégalité la plus complète,
et la charte pourrait être attaquée devant le
tribunal administratif ou le Conseil d'Etat. Pour contourner
cette difficulté, nous allons déterminer avec
la ville, sur une base statistique, le niveau d'exposition
moyen actuel, et nous assurer, chaque année, par des
mesures sur 600 lieux particulièrement exposés
qu'aucun site ne dépasse ce niveau.»
Les adjoints au maire chargés du dossier veulent croire
que la discussion va déboucher prochainement : «Les
choses avancent tranquillement, personne ne remet en cause
la nécessité d'appliquer le principe de précaution,
commente prudemment Yves Contassot, adjoint Vert chargé
de l'environnement. Je pense que la charte pourrait être
signée à la fin de la semaine.»
«On comprendrait mal qu'après 8 à 9 mois
de discussion, un vote à l'unanimité du conseil
de Paris en faveur de l'abaissement des seuils et une série
de signaux positifs, certains points du document soient remis
en cause, lance Stéphen Kerckhove, responsable de l'association
Agir pour l'environnement. Si le document ne comportait pas
de seuil d'exposition, les actions de résistance des
riverains reprendraient, et le développement de la
téléphonie de troisième génération
UMTS, qui nécessite le doublement du nombre d'antennes-relais,
serait compromis dans la capitale.»
Les réticences de Bouygues Telecom, Orange et SFR
sont compréhensibles. L'expérience parisienne
est observée à la loupe en France et à
l'étranger. Fixer un seuil de 2,5 v/m, reviendrait
à créer un précédent dont les
riverains pourraient faire usage, y compris devant la justice.
Pour l'heure, les opposants aux antennes sont, dans la plupart
des cas, désavoués par les tribunaux. Ainsi
le tribunal de Nice, écartant «tout risque pour
la santé», a-t-il annulé en janvier les
arrêtés municipaux de dix-sept villes des Alpes-Maritimes
et du Var interdisant l'installation de pylônes. Les
particuliers qui saisissent la justice obtiennent rarement
gain de cause, leurs plaintes étant le plus souvent
classée sans suite. Quelques dossiers sont toutefois
pris un compte comme celui d'une jeune Lyonnaise, victime
de plusieurs fausses couches, dont la plainte a été
retenue. Un encouragement pour cet habitant de Saint-Maur,
atteint d'un cancer de la gorge, qui vient de déposer
plainte à Créteil.
Ces cas vont être évoqués par les associations
de défense des riverains, Priartem et Agir pour l'environnement,
qui ont rendez-vous, cet après-midi, au cabinet de
Jean-François Mattei. Avant de devenir ministre de
la Santé, celui-ci avait rédigé, avec
des parlementaires de tous bords, une proposition de loi visant
à réglementer les antennes-relais. Fin janvier,
il a expliqué : «Aucune expertise scientifique
ne démontre le moindre risque pour les personnes vivant
à proximité, mais le souci du gouvernement est
un souci de transparence, et s'il faut modifier le décret
de mai 2002, il sera modifié.»
Les associations attendent notamment des éclaircissements
sur l'enquête sanitaire menée à Saint-Cyr-l'Ecole
(Yvelines). L'affaire est tragique : trois enfants sont décédés
dans le quartier de l'Epi-d'Or, deux dans le groupe scolaire
Ernest-Bizet, où se trouvent quatre antennes, un dans
une autre école. D'autres enfants ainsi que des adultes
souffrent de maladies et de troubles plus ou moins graves.
L'Institut de veille sanitaire (InVS) et la Direction départementale
des affaires sanitaires et sociales (DDASS) ont diligenté
une enquête, dont les premières conclusions,
qui viennent d'être rendues publiques, ne satisfont
pas les associations de parents d'élèves : «Huit
cas suspects de cancers chez l'enfant ont été
retenus, mais toutes les autres pathologies signalées
sont éliminées du fait de la diversité
des cas et du faible nombre recensé pour chacun, déplore
Hervé Nougier, au nom du collectif d'associations de
Saint-Cyr. La DDASS et l'InVS acceptent de pousser leurs investigations
sur l'air et l'eau mais affirment qu'ils n'ont pas pour mission
de réaliser une étude sur le syndrome des micro-ondes
autour d'une antenne-relais. C'est pourtant ce type d'étude
que demandent les associations et la mairie depuis deux ans.»
Créée en novembre dernier, l'Agence française
de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE)
a reçu pour première mission de se pencher sur
la téléphonie mobile. «Le problème,
c'est que le professeur Zmirou, directeur scientifique de
l'Agence, est chargé d'évaluer son propre rapport,
souligne Stéphen Kerckhove. Il serait étonnant
qu'il se déjuge.»
«Cette affaire de santé publique est bien plus
large que les précédentes, affirme Janine Le
Calvez, présidente de Priartem, fer de lance du combat
pour la transparence. La population concernée est beaucoup
plus importante que les victimes de l'amiante ou du sang contaminé.
Cela peut être chacun d'entre nous. De nombreuses personnes
souffrent de cancers rares, de dépressions nerveuses
; des femmes font des fausses couches, des gens se suicident,
sans qu'aucune réponse convaincante ne soit apportée.
Nous réclamons une loi permettant de prendre en compte
l'ensemble des facettes de ce dossier. Celui-ci mérite
largement un débat parlementaire.»
1 638 zones «blanches» sur le territoire français
Ce n'est pas le moindre des paradoxes : si les grandes agglomérations
regimbent devant la multiplication des antennes-relais, les
régions rurales se plaignent de ne pas bénéficier
du service qu'elles apportent. Actuellement, 95% de la population
a la possibilité de téléphoner grâce
à un portable, affirment les opérateurs. Mais
1 638 bourgs ne sont pas encore couverts. Le projet «zones
blanches» devrait prochainement réduire le nombre
de villages privés de la téléphonie mobile.
Fin février, les départements ont adressé
aux opérateurs une liste répertoriant les hameaux
exclus, liste dont le dépouillement devrait être
achevé au printemps. Après quoi, les travaux
d'installation de quelque 1 300 pylônes pourront commencer.
Ce vaste chantier devrait s'étaler sur au moins une
année. L'État et les collectivités territoriales
participent au financement du projet. Ils ont prévu
d'allouer 88 millions d'euros (la moitié pour l'État,
la moitié pour les collectivités) au déploiement
des pylônes.
L'Europe pourrait constituer une source de financement complémentaire.
En effet, le commissaire européen à la Politique
régionale, Michel Barnier, vient de confirmer au ministre
français de l'Aménagement du territoire, Jean-Paul
Delevoye, son «accord sur la mobilisation des fonds
structurels européens afin de cofinancer certaines
infrastructures permettant l'accès à la téléphonie
mobile et à l'Internet de régions» qui
en sont dépourvues.
|