Académie de médecine, Matignon, Elysée
: mobilisation générale en faveur des opérateurs
de téléphonie mobile aux prises avec la justice.
Hasard ? Non, offensive bien combinée et discrètement
menée par Bouygues, qui a des antennes partout, jusqu’à l’Elysée.
Et même au sein de la très docte Académie
de médecine. Résultat : un véritable
feu d’artifice, le 4 mars, avec intervention, dans
l’ordre, de la dite académie, puis du grand
Martin Bouygues en personne et de François Fillon.
La cause sacrée qui valait pareille mobilisation ?
Pas touche à mes antennes : il faut sauver les opérateurs
de téléphonie mobile menacés de se voir
couper le sifflet par des juges que le doute sanitaire tracasse…
Le 4 février, Bouygues Télécom est
condamné par la Cour d’Appel de Versailles à démonter
une antenne dans le Rhône. Une première en France.
La Cour invoque « l’incertitude » concernant
un éventuel effet sur la santé des riverains.
Douze jours plus tard, SFR est à son tour condamné, à Carpentras,
pour le même motif. Et voilà qu’à Angers
le Tribunal de Grande Instance interdit l’installation
par Orange de trois antennes sur le clocher d’une église à proximité d’une école.
Une véritable épidémie.
Ciel mon portable !
«
Cela a créé un effet de choc chez les opérateurs »,
confie un consultant de Bouygues. Et si, au nom du principe
de précaution – que Chirac a fait inscrire
en 2005 dans la Constitution -, il prenait fantaisie aux
juges de faire démonter tout ou partie des 47.000
antennes plantées sur le territoire français
?
Sentant venir le vent mauvais, Bouygues, dès le 4
février, a donc activé ses relais. Pas question
de laisser la justice mettre en péril son business.
Chez Martin, on ne rigole pas avec le téléphone
et l’entreprise qui porte son nom : le chiffre d’affaires
de Bouygues Télécom avoisine les 5,2 milliards.
Et le patron de TF1 rigole d’autant moins que la récente
loi de modernisation de l’économie, votée
en 2008, prévoit des sanctions contre les opérateurs
qui ne répondraient pas aux obligations de « couverture » fixée
par l’Etat. A savoir 60 euros par habitant non « couvert » ou
1.500 euros par kilomètre carré non pourvu.
Mais comment parsemer d’antennes la France si la justice
menace de les faire démonter ? Le 4 mars, au cours
d’une conférence de presse, Martin se lâche
: « Le gouvernement doit faire un choix : Est-ce qu’il
souhaite qu’on continue à utiliser la téléphonie
mobile ou pas ? » Effet garanti : les Français
vont-ils être demain privés de leur portable
?
Coïncidence, le matin même, l’Académie
de médecine sort de son silence pour appuyer Martin.
Elle affirme solennellement que les antennes sont inoffensives
et que la Cour d’Appel de Versailles a commis une «erreur
scientifique » en obligeant Bouygues à démonter
l’une des siennes. La glorieuse académie a agi
avec une célérité inhabituelle. Elle
s’est autosaisie juste après la décision
de Versailles. Sans même convoquer l’une de ses
commissions. Elle a seulement monté, pour l’occasion,
un « groupe de travail », qui ne s’est
réuni qu’une fois pour auditionner un juriste,
un seul…
« C’est une procédure complètement
inhabituelle », convient-on à l’Académie
de médecine. Ce qui est encore plus pittoresque, c’est
le curriculum de l’auteur du communiqué. André Aurengo
est chef du service de médecine nucléaire à la
Pitié-Salpêtrière, mais aussi membre
du Conseil d’administration d’EDF et, surtout,
figure éminente du Conseil scientifique de… Bouygues
Télécom ! Un conseil de prestige dans lequel
siège aussi Bernard Veyret, Directeur de recherche
au CNRS. Lequel avait signé, en 2005, un rapport de
l’Agence française de sécurité sanitaire
de l’environnement sur l’innocuité du
téléphone mobile. Rapport dénoncé,
un an plus tard, par l’Inspection générale
des affaires sociales, étant donné les liens
entre ses auteurs et les industriels de la téléphonie
mobile. Voilà une académie bien à l’écoute
des doléances de Martin…
Docteur Fillon
Son avis, du coup, n’est pas tombé dans l’oreille
d’un sourd. A peine s’était-il exprimé que
François Fillon abondait dans son sens. Et expliquait
qu’il avait confié à la Ministre de la
santé le soin d’organiser une table ronde, le
26 mars, réunissant opérateurs et associations
hostiles. Dans une « lettre de mission », le
Premier ministre dicte sa conclusion à Roselyne Bachelot
: « L’hypothèse d’un risque pour
la santé pour les populations vivant à proximité des
antennes-relais de téléphone mobile ne peut être
retenue » en l’état actuel des connaissances.
Nathalie Kosciusko-Morizet, qui avait lancé l’idée
d’un « Grenelle des antennes », a été priée,
de passer la main à son amie Roselyne. Les opérateurs
se méfiaient de son côté écolo.
Fillon a ainsi tout recadré et Martin peut raccrocher.
Même un peu téléphonée, son opération « Sauver
mes antennes » était vraiment bien combinée.
Jean-Michel Thénard
|