Déchets. Borloo tance l’organisme, après
l’évaporation de 55 millions d’euros.
Eco-Emballages a-t-il paumé l’argent de la
collecte ? Il s’est livré à des «placements
non sécurisés» sur une partie de sa
trésorerie. Qui est cette société ?
Un éco-organisme chargé d’organiser
le tri des emballages ménagers en France, qui collecte
pour cela les contributions des producteurs et les reverse
aux collectivités. Mais entre le moment où l’argent
est récupéré et celui où il
est redistribué, Eco-Emballages le fait travailler.
Depuis plusieurs années, ses placements se répartissent à 80
% sur des produits financiers classiques et à 20
% dans des «fonds dynamiques», selon ses termes.
«Audit». Le 21 avril, le conseil d’administration
sent le vent du boulet et veut se désengager de
ses placements non monétaires. Trop tard. Personne
ne rachète deux positions débloquées
par l’organisme. 55 millions d’euros en souffrance.
De quoi mettre Jean-Louis Borloo «très en
colère». Dès mardi soir, le ministère
de l’Ecologie publie un communiqué virulent
annonçant une «enquête approfondie».
Le patron d’Eco-Emballages a été convoqué hier
en fin de journée pour s’expliquer et un «audit
interne» a été demandé. Borloo,
depuis Poznan, en a rajouté une couche : «Je
suis un peu scandalisé. Je n’accepte pas que
60 millions d’euros destinés aux collectivités
locales soient placés dans un paradis fiscal.» Il
menace même de suspendre l’agrément
de l’Etat… «Une menace surtout politique,
pointe un spécialiste. L’organisme est un
monopole, il n’y a aucune alternative».
L’éco-organisme se défend de «toute
forme d’illégalité ou de malversation» face
au ministère qui parle de «paradis fiscaux» et
dénonce le recours à «un type de fonds à risque
dont l’emploi est inacceptable au regard de la morale
républicaine, s’agissant de fonds publics».
Derrière ces envolées, le ministère
ne pouvait en dire plus sur les paradis fiscaux concernés.
Eco-Emballages parle d’un fonds d’investissements à Zürich.
Or, «la Suisse n’est pas un paradis fiscal»,
notait François Fillon fin novembre.
Les fonds d’Eco-Emballages proviennent des 47 000
entreprises membres, qui lui reversent la redevance payée
par le consommateur sur chaque emballage (lire ci-dessous).
L’organisme a un statut de société anonyme
et l’Etat, qui pilote le dispositif, n’en détient
pas une seule action. Mais il participe aux conseils d’administration
au titre de «censeur d’Etat», ce qui
lui permet d’assister aux réunions sans se
mêler de la gestion. La preuve : le censeur n’a
pas empêché Eco-Emballages de se livrer à ces
placements. Sébastien Lapeyre, directeur du Cniid,
une association spécialisée sur les déchets,
relève avec ironie que «sans la crise, on
n’aurait rien vu». Parfois, la crise a du bon.
Collimateur. Ce n’est pas la première fois
qu’Eco-Emballages est dans le collimateur. En octobre,
le magazine Environnement & technique avait révélé une étude
confidentielle du cabinet KPMG qui passe au peigne fin
les soutiens versés aux collectivités locales
par l’organisme et sa filiale Adelphe entre 2005
et 2007. Il en ressort un manque à gagner de 166
millions pour les collectivités sur la période.
En clair : Eco-Emballages a versé moins que promis.
Le temps de placer son argent sur des fonds à risque
?
Au-delà des placements malheureux se pose la question
du contrôle des éco-organismes. Et les emballages
ne sont pas les seuls concernés : les filières électriques
et électroniques ou le papier ont aussi mis en place
des systèmes de «responsabilité élargie
du producteur». Le dispositif étant amené à prospérer,
la question de leur contrôle était abordée
dans l’article 41 du projet de loi Grenelle 1 qui
devait créer «une instance de régulation
et de médiation sur les éco-organismes».
Mais «cette disposition a disparu du projet de loi
lorsque celui-ci est passé devant les députés»,
rappelle Gaël Virlouvet, responsable déchets à France
Nature Environnement. Pour Clara Osadtchy, d’Agir
pour l’environnement, cette affaire «est la
démonstration qu’un éco-organisme ne
peut pas être confié au privé. Ou qu’il
faut une autorité de régulation publique
avec un vrai pouvoir de sanction».
Matthieu Glachant, professeur d’économie à Mines
Paris Tech, souligne le manque d’engagement de l’Etat à jouer
son rôle. «Si on regarde juste les objectifs
assignés en matière de valorisation, Eco-Emballages
a très bien réussi. Mais l’Etat a mis
peu de moyens pour réguler. Or, cette question est
essentielle quand on confie à des entités
privées une mission de service public.» D’autant
qu’au fil des ans, Eco-Emballages est devenu puissant.
En situation de monopole, l’organisme joue aussi
un rôle de lobby souvent critiqué par les
associations. Le ministère de l’Ecologie assure
vouloir profiter de l’occasion pour lancer le «renforcement
du contrôle par l’Etat du fonctionnement de
l’ensemble des éco-organismes».